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La Nouvelle Tribune : Vous êtes contre le projet de loi, qui devrait remplacer la loi 10-94 que le département de la Santé vient de déposer au SGG. Pourquoi ?
Il faut savoir que ce projet de loi n’est pas nouveau. C’est le même qu’avait présenté l’ancienne ministre Mme Baddou. On se demande comment deux gouvernements différents, deux ministres de formations politiques différentes présentent une même copie. Le seul changement par rapport à la loi de 1994, c’est que le nouveau projet de loi, dans son article 57, est en contradiction avec l’article 02 qui stipule que «la médecine est une profession qui ne doit en aucun cas ni d’aucune façon être pratiquée comme un commerce». Or, c’est le contraire qui risque de se passer. L’exercice de la médecine va devenir une forme commerciale comme une autre. Peut-on considérer que la santé est une marchandise comme une autre ? Le Ministre estime que oui, parce qu’en proposant un tel dispositif, on enlève à la santé ce côté humain.
Pour autant, le ministre de la Santé avance que c’est un système qui marche très bien dans d’autres pays comme la Tunisie, l’Egypte, le Chili, la France, les USA…
Ce n’est pas vrai, le ministre cache des choses pour tromper le citoyen. De nombreuses études confirment que ce système a échoué. Il est décrié par de nombreuses ONG, dont l’OMS, et certains gouvernements sont en train de revoir ce modèle, comme le Canada. En Europe également, il y a un débat contre ce système de santé. Dans les pays du Sud, comme le Maroc, on peut prendre l’exemple du Liban et du Sri Lanka. Le Liban possède un des systèmes de santé les plus privatisés du monde en développement. Il consacre aux soins de santé plus de deux fois de dépenses que le Sri Lanka, mais sa mortalité infantile et maternelle est plus élevée (deux fois et demi et trois fois respectivement). Les coûts augmentent car les prestataires privés ont recours aux traitements lucratifs au lieu de répondre aux véritables besoins médicaux. Ils sont de l’ordre de 650$/habitant/an contre 50% en moins en Sri Lanka, avec de meilleurs résultats. Les cas du Chili et de la Chine attestent également que c’est loin d’être un système convenable. Et malgré tout cela, le ministre veut importer un modèle qui a échoué. Alors que l’on pourrait réfléchir pour trouver un modèle spécifique au Maroc qui tient compte du pouvoir d’achat du citoyen. On pourrait ainsi passer d’un système de soins à un système de santé.
Qu’entendez-vous par là ?
Au lieu de donner uniquement des soins, on peut faire de la prévention, en travaillant sur des paramètres (environnement, habitat salubre, nutrition, eau potable…) qui influent sur la santé. C’est d’ailleurs ce qui est recommandé par les institutions de droits humains.
Le ministre avance pourtant que ce projet de loi va permettre une meilleure accessibilité de toutes les catégories de la population et de toutes les régions aux soins…
C’est faux. Un investisseur ne va jamais aller dans une région ou investir dans un projet s’il n’est pas sûr qu’il aura un retour sur l’investissement. Donc, l’exemple de Tan-tan que le ministre répète est un leurre. Ce qui risque de se passer, c’est que les investisseurs (assurances, laboratoires pharmaceutiques…) vont racheter des cliniques qui existent déjà. Certaines cliniques ont reçu des offres de la part de personnes qui souhaitent blanchir leur argent.
Le ministre de la Santé avance également que ce projet a nécessité près de 12 mois de travail et de concertations avec les professionnels, et qu’il a tenu compte de leurs propositions. Pourquoi aujourd’hui réfutez-vous ce projet ?
C’est encore faux. Le ministre s’est réuni avec qui il a voulu. Les 7 syndicats représentant les secteurs privé et public, et les enseignants supérieurs, réfutent ce projet de loi. Les médecins ne sont pas les seuls concernés. Cette question concerne le citoyen et de ce fait, nous avons demandé que la société civile soit intégrée au dialogue. Nous avons dit au ministre que c’est le citoyen qui va payer les frais d’un tel dispositif et non le médecin. De plus, des propositions, nous en avons faites. Mais elles n’ont pas été prises en compte.
Quel genre de propositions ?
Pour ouvrir des cliniques dans des régions éloignées, nous avons demandé au département de la Santé de nous accorder certains avantages. Les mêmes que ceux de l’hôpital Cheikh Zaid par exemple (pas d’impôts, terrain quasi gratuit…), avec un cahier des charges que nous nous engageons à respecter et des conditions. En contrepartie de ces facilités, on s’engage à réduire les frais des soins, en ayant recours à une tarification de référence.
Pour alléger la pression sur l’hôpital public, nous proposons au ministère de permettre aux bénéficiaires du Ramed, qui sont au nombre de 8,5 millions, de choisir leur médecin (privé ou public) à condition de payer le même montant. Et le privé s’engage à les prendre en charge en respecter la tarification de référence appliquée à l’hôpital. Alors que lorsque l’on oblige un citoyen à aller uniquement chez le secteur public, on le prive du droit de choisir son médecin.
Concrètement, comment peut-on mettre cela en pratique ?
C’est très simple et très facile à mettre en oeuvre. On va procéder de la même manière que pour les accidents de travail. L’accidenté apporte une prise en charge, il bénéficie des soins nécessaires. Ensuite, le médecin présente une note d’honoraires, selon une tarification bien déterminée, à l’organisme d’assurance. Alors pourquoi ne pas dupliquer cette pratique au Ramed ?
Comment comptez-vous convaincre le ministre ?
Nous sommes une force de propositions, aujourd’hui, nous avons une coalition qui compte 34 ONG nationales. Nous agissons pour tirer la sonnette d’alarme sur la gravité d’une telle mesure et nous suggérons des façons différentes de prodiguer des soins. Une pétition pour organiser un référendum autour de cette question est en cours, et pour le moment elle a été signée par 400 personnes. Notre objectif est d’attirer l’attention du SGG sur l’anti-constitutionnalité de l’article 57 du nouveau projet de loi. Nous nous sommes réunis avec certains chefs des partis politiques pour leur exposer les tenants et les aboutissants d’un tel dispositif, et les intégrer dans le débat. Nous comptons voir toutes les formations.
En conclusion ?
J’aimerais clarifier un point important. Si les professionnels sont montés au créneau contre ce projet de loi, ce n’est certainement pas pour défendre leur intérêt mais celui des citoyens. Ce projet présente de nombreux avantages pour les médecins, il offre plus d’opportunités de travail, une couverture médicale… Si nous avons réagi, c’est justement parce qu’il comporte un article anticonstitutionnel.
Entretien réalisé par Leila Ouazry
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Boycott
Les 4 syndicats de la santé affiliés à la CDT, la FDT, l’UGTM et l’UNMT ont boycotté une réunion prévue avec le ministère de la Santé, jeudi dernier. Un communiqué publié à l’occasion par les syndicats explique les raisons en soulignant que le ministère ne les a informés de cette rencontre que le 31 décembre dernier, sachant que le 1er janvier était un jour férié. Les syndicats estiment qu’une telle démarche est de nature à vider le dialogue de son contenu. Notons que cette réunion se tenait alors que le très contesté avant-projet de loi sur l’exercice de la médecine venait d’être publié. Il n’est pas à écarter que ce boycott soit une sorte de représailles de la part de ces centrales qui se sont dès le départ prononcées contre son adoption.